Rani Ranovi de Želimir Žilnik, un film punk

 

Quand on voit Travaux précoces (Rani Ranovi, Yougoslavie, 1969) pour la première fois, on se demande quelles drogues avaient pris les jurés du festival de Berlin de 1969 quand ils lui ont décerné l’Ours d’or (la même année, le tout aussi incroyable, le tout aussi radical et le tout aussi malheureusement oublié Ich Bin Ein Elefant, Madame de Peter Zadek recevait lui un Ours d’argent). Travaux précoces, c’est un film punk, baroque, malade, libre, généreux, et bricolé entre copains dans la Yougoslavie communiste de Tito. Un film qui sera d’ailleurs interdit par le régime, non parce qu’il marquerait, comme on s’y attend en tant que spectateurs de l’ancien bloc « libre », une déviance « réactionnaire », mais parce qu’il est bien trop révolutionnaire, voire anarchiste, pour le régime. Travaux précoces, comme les films de Jean-Luc Godard de l’époque (La Chinoise, One plus One, Vladimir et Rosa pour n’en citer que quelques-uns, comme Le Voyage à Niklashauser de R.W. Fassbinder ou Ice de Robert Kramer), fait partie de ces rares œuvres qui proposent de rompre avec la théorie politique et de passer à l’action directe, à la prise d’armes, mais aussi de rompre avec les codes, forcément bourgeois, de la représentation du cinéma classique. Cependant, contrairement aux réalisateurs de l’Ouest, inscrits malgré tout, ou malgré eux, dans un système de production cinématographique on ne peut plus « capitaliste », Želimir Žilnik fabrique lui un réel contre-cinéma avec toute la rage et toute la liberté qu’offrent l’isolement et le manque de moyens. Découvrir Travaux précoces, c’est découvrir un film d’une radicalité parfois déconcertante mais d’une force politique et artistique rare, voire presque inespérée.

 

Jean-Gabriel Périot
avril 2019
Centre Georges Pompidou
Programme Želimir Žilnik et la Black Wave